Isabelle

Mon amie Isabelle s’est éteinte cette nuit. Elle avait 47 ans.

J’ai rencontré Isabelle il y a 4 ans, presque jour pour jour. C’était 2 mois tout juste avant de partir vivre à NY. Je me rappelle encore l’entretien que je lui ai fait passer pour venir travailler avec moi chez Europa Distribution.

Après un mois de travail ensemble, je savais que j’avais trouvé mon âme sœur en termes de travail. Nous nous  comprenions parfaitement, tout était facile.

Je suis partie à NY, et nous avons commencé à nous appeler tous les jours, sur skype, comme si nous partagions un vrai bureau.

Après 3 mois, j’ai compris qu’Isabelle était bien plus qu’une simple collègue : c’était devenu une amie, peut-être même une grande sœur. Nous nous ressemblions beaucoup, nous avions vécu des choses similaires (le décès de nos mères quand nous étions encore jeunes) et nous avions la même approche de la vie et du travail.

Nous nous retrouvions lors de nos déplacements professionnels dans tous les coins de l’Europe: San Sebastian, Annecy, Sofia, Berlin, Cannes, Locarno, Bruxelles. Nous bossions,  mais surtout nous parlions et rigolions tellement ensemble, autour d’un bon repas et d’une bonne bouteille. Elle venait régulièrement me voir à NY; quand j’étais à Paris, j’habitais chez elle.

Ensemble, nous avons fait grandir Europa Distribution, et l’avons transformé en acteur incontournable du cinéma européen.

Ensemble nous avons décidé de créer une société, Black Rabbit Film, pour pouvoir mener à bien tous les projets qui nous passionnaient. Nous étions complémentaires, elle, l’avocate fiscaliste reconvertie au cinéma indépendant, moi, la littéraire de service suffisamment pragmatique pour envisager le côté business des choses. Nous formions un duo de choc, nous nous stimulions mutuellement. Nous avons produit notre premier court-métrage, créé des passerelles entre cinéma indépendant américain et marché européen, développé un atelier professionnalisant en Jordanie pour des distributeurs de film de la Méditerranée. Nous étions sur tous les fronts.

Mais la maladie est arrivée. En Septembre 2011. Je me rappelle encore ce coup de téléphone terrible, un matin : c’est un cancer.

Dans ma tête sont revenus tous les flashbacks de la maladie de ma mère.

Mais Isabelle a pris le taureau par les cornes. Elle a abordé sa maladie comme on aborde un problème qui a forcément une solution. Elle a continué de travailler, de se déplacer, de prendre des cours de danse. Après sa  première chimio, elle s’est rasée la tête comme pour avoir le dessus sur la maladie, et non pas la subir.

Après 4 mois de chimio et une opération, elle était toujours aussi resplendissante. Personne n’aurait pu se douter de son combat contre la maladie. Mais les résultats sont tombés, il restait des cellules cancéreuses. Malgré tout, tout le monde, y compris les médecins, y croyaient car sa forme olympique constituait un gigantesque pied de nez à la maladie.

Puis les premières douleurs dans le ventre sont arrivées. Nous avons passé ensemble un festival de Cannes tranquille, elle était fatiguée, mais elle faisait les RDV, puis allait se reposer. On a dîné ensemble, rigolé. Beaucoup parlé aussi : je suivais sa maladie et ses traitements au quotidien, nous en parlions beaucoup, de manière très naturelle. C’était sa grande force : nous faire oublier par sa présence rieuse la maladie tout en étant très lucide sur sa condition. Nous avons fait une montée des marches ensemble, pour voir AMOUR de Michael Haneke. Nous étions bouleversées par le film et elle m’a dit alors cette phrase terrible : « cela ne donne pas envie de vieillir ». Si nous avions su.

Puis tout s’est accéléré. Je n’ai rien compris. Comme si son corps, après tous ces mois de combat, avait lâché d’un coup.

En 3 semaines, elle est partie.

Tout s’est brouillé en moi. Isabelle avait 47 ans, ma mère avait 47 ans. Après avoir perdu une maman, j’ai perdu une sœur  de coeur, une amie, une associée, une collègue. Je l’ai perdue dans les mêmes conditions, celles qui font croire pendant des mois que tout est encore possible, avant d’anéantir l’espoir et de vous laisser face au vide, à la mort, au manque.

Isabelle, tu as été l’une des personnes les plus importantes pour moi. Je ne t’ai connue que 4 ans, mais ces 4 ans furent suffisants pour que tu me marques à jamais. Nos conversations, ta voix rieuse et douce vont tant me manquer au quotidien. Nos projets, je les mènerai jusqu’au bout, pour toi, pour nous. Et tu resteras toujours là auprès de moi, au fond de ma tête et de mon cœur, avec ta joie de vivre, ta combativité, ta douceur, ton port de reine, ton intelligence.

Je pense aujourd’hui à tous ceux qui sont partis trop tôt : ma mère, Christine, mon oncle Michel, et maintenant Isabelle. Je pense aussi à tous ceux qui restent, les maris, femmes et conjoint(e)s, les enfants, les frères et sœurs, les amis, les collègues, tous ceux qui ont l’immense privilège de pouvoir continuer à jouir de la vie, de ses petits comme de ses grands bonheurs, mais qui doivent aussi apprendre à vivre avec ce manque, ce vide terrible au quotidien.

4 Responses to “Isabelle”


  1. Francoise

    Quelle tristesse ! Que la vie est injuste.
    Je pense à la famille d’Isabelle.
    Je pense, à toi, Ade, qui subit encore un terrible choc.
    Toutes mes pensées vont vers toi et la famille d’Isabelle en ce moment douloureux.
    Ce que tu dis de ton amie est si beau. Elle continuera de vivre à travers toi.
    Nos absents sont si présents.
    Et que de combats vit-on, tous les jours, pour eux.
    Je t’embrasse très très fort
    Françoise

  2. Celine

    Un tres bel hommage a ton amie qui me donne les larmes les yeux…Bon courage a toi Adeline et grosses bises.
    Celine

  3. nadine

    Bouleversée par cette terrible nouvelle et par ton hommage, je t’embrasse tendrement.

    Nadine

  4. dominique Perot

    Infiniment triste de savoir que ton amie est partie,trop vite, trop tôt,malgré sa joie de vivre,sa famille, votre amitié solide et votre folle aventure dans le cinéma, malgré son combat au jour le jour,malgré tout ce qui fait que c’est tellement con de partir ainsi.
    Je pense depuis plusieurs jours très fort à elle, lumineuse, rencontrée une fois à Paris,je pense très fort à toi et à ta maman,et je t’embrasse avec toute mon affection pour que tu sois un peu moins triste et que toutes les pensées soient comme des notes de musique même pas tristes, rien que pour elle, pour toi,pour ta maman, pour chacun que nous avons perdu et pour la présence de tous ceux qui font que notre vie est belle..oui.. malgré



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