1er janvier 2023 : 20 ans sans toi, Maman
Et voilà, nous sommes arrivé.e.s à cette date fatidique du 1er janvier 2023, qui sonne les 20 ans de ta disparition. C’est aussi la date anniversaire de ton premier baiser avec papa, le 1er janvier 1971, il y a 52 ans, tu avais 15,5 ans. Il nous a raconté cela tout récemment, cela m’a émue que le 1er janvier revête cette importance dans notre histoire familiale.
20 ans, c’est un nombre vertigineux. Presqu’autant de temps passé sans toi qu’avec toi, cela me paraît inacceptable, et c’est inéluctable. Je me rapproche aussi, petit à petit, de l’âge que tu avais quand tu nous as quitté.e.s. Ca aussi, cela me semble intolérable, maintenant que j’y suis presque. Tu avais encore tant de choses à faire, tant de projets, une deuxième vie de femme, de couple, probablement, à un moment où tu devais te dire que tes 2 enfants étaient sorti.e.s d’affaire, grâce à vos efforts combinés, à toi et à papa, pendant plus de 20 ans!!
Plus j’avance dans la vie, plus je me rends compte des montagnes que tu as soulevées, pour nous, pour toi.
Côté boulot, il fallait toujours que tu étudies un nouveau domaine, une nouvelle spécialité, tu avais un insatiable appétit pour la connaissance, aller plus loin, ne jamais te reposer sur tes lauriers. De la médecine généraliste à la médecine scolaire, en passant par la médecine du sport, la nutrition, la médecine humanitaire et le sida, rien ne t’arrêtait. Je repense souvent à ces derniers mois, où tu étais malade, en traitement chimiothérapie, et tu continuais à te faire ton aller-retour hebdomadaire à Bruxelles pour étudier une nouvelle spécialité, en plus de ton boulot quotidien. Lever à 4h, départ du train à 6h30, cours toute la journée, retour le soir. Franchement, respect.
Côté famille, tu étais le pilier indestructible de notre petite cellule. Maintenant que je suis mère depuis un bon moment, je me rends bien sûr compte de l’énergie que cela demande d’être sur tous les fronts. Je t’en ai fait voir, côté santé, je réalise à quel point cela a dû être épuisant pour toi de m’avoir comme fille 🙂 Quand je vois comment je panique quand Lisa ou Maya ont un petit problème de santé, je me dis que tu as du te faire un paquet de cheveux blancs avec moi : l’asthme, les allergies, l’eczéma, la maladie coeliaque, les régimes sans gluten et sans oeufs, le choc à la noix de cajou, les hormones de croissance, l’insuffisance rénale 5 jours avant le bac, les entorses et fractures, non mais franchement quel calvaire pour un parent!! Tous ces rendez-vous à l’hôpital Saint Vincent de Paul qu’on faisait toutes les 2, tous ces tests, ces longues heures passées avec moult spécialistes, cela a dû t’inquiéter, te miner le moral, mais jamais tu ne me l’as fait ressentir. De ces moments-là, je ne me souviens que de ta présence réconfortante, ta solidité, tes bras et tes bisous, ton amour de chaque instant qui me disait “ça va aller”. A nouveau, je suis sidérée par la capacité que tu as eue à ne jamais me transmettre ton stress, tes peurs, tout en gérant tout le reste de ta vie, le boulot, le quotidien, la famille, comme une chef. C’était probablement moins facile que tu ne le laissais paraître, mais à mes yeux, tu étais un roc qui me protégeait et m’aimait, quoiqu’il arrive.
Il y a quand même eu quelques moments où le roc vacillait : je me rappelle cette fois à Montfort l’Amaury où tu étais malade (probablement une gastro, je te revois avec ta bouteille de liquide vert, l’hépatum je crois) et où j’étais dans ma chambre, je devais avoir 6 ou 7 ans. Tu m’appelais, je ne t’entendais pas, à un moment tu as crié mon nom, je suis descendue, et je t’ai trouvée en pleurs, courbée en 2. Premier choc de l’enfance : une maman, cela peut donc pleurer. Tu m’as expliqué que tu avais eu peur, un instant, que j’aie disparu. Peur ancestrale de tout parent qui avait dû te submerger de manière irrationnelle, à un moment de faiblesse physique. Cette fois-là, c’est moi qui t’ai calinée et remise au lit.
Il y a eu aussi, bien sûr, l’Accident de ski avec un grand A. Des semaines d’hôpital, de fauteuil roulant, puis de rééducation. J’ai peu de souvenirs de cette période là, je crois que le cerveau bloque certaines choses pour se protéger. Mais à nouveau, je suis stupéfaite de ta ténacité et de ton courage. Franchement, échapper à la mort à 31 ans et se retrouver avec quasiment tous les membres cassés, cela pourrait flinguer plus d’une personne. Tu en as probablement beaucoup bavé, physiquement mais aussi mentalement, cela a dû être terrible de réapprendre à marcher, mais jamais, jamais, tu ne l’as fait ressentir à tes enfants, jamais tu ne nous as fait payer ta souffrance. Et c’est pourtant si facile d’en vouloir à la terre entière quand on souffre.
Dernier souvenir du roc qui vacille : ton lumbago, quand j’avais une quinzaine d’années, un truc monstrueux qui t’a pliée en deux pendant des semaines. A nouveau, zéro plainte. En fait, côté souffrance, tu étais une grande stoïque!!
Stoïque, tu ne l’étais pas sur tous les sujets 🙂Parfois, tu sortais de tes gonds, et tu me passais un bon savon, mais en général je savais pourquoi je me faisais engueuler même si je n’étais pas toujours d’accord!! Car c’est vrai qu’on a eu quelques moments difficiles, quand j’étais ado, je te trouvais dure parfois. Mais rétrospectivement, je comprends la plupart des règles que tu imposais, et je les applique aujourd’hui avec Lisa et Maya!! Surtout, je vois maintenant à quel point tu faisais attention au fait de ne pas m’attaquer, moi, directement, sur ma personnalité, mais bien sur une action ou un problème précis. Même quand on se disputait, je n’ai jamais douté du fait que tu m’aimais. Et ça, je l’ai compris après, cela a été capital pour ma confiance en moi. Finalement, la seule chose que je n’ai jamais digérée, c’est cette interdiction d’aller dormir chez mes copines pendant l’année scolaire quand j’avais 15/16 ans. Je crois me souvenir que c’est arrivé après une nuit blanche chez une amie, mais franchement, si tu étais encore là aujourd’hui, je te demanderais des explications 🙂 Je m’étais jurée à l’époque que je n’imposerais jamais cette règle à mes enfants, et j’ai tenu bon, je n’ai jamais interdit un “sleepover”!!
Passés ces quelques moments de tension ponctuelle, ce dont je me souviens, c’est à quel point on était proches, autour de mes 17/18 ans et jusqu’à ce que tu nous quittes. Je crois pouvoir dire aujourd’hui que tu étais devenue, plus qu’une mère encore, ma meilleure amie. Tu me faisais confiance, même quand mes choix n’étaient pas forcément ceux que tu aurais faits, tu partageais mes joies comme si tu les vivais aussi, tu étais aussi toujours là quand ça n’allait pas, sans poser de questions. Je me rappelle un moment où je n’étais pas très en forme, je ne sais plus bien pourquoi, et sur un coup de tête, tu m’as embarquée à Nice, pour quelques jours entre mère et fille, juste la mer, le soleil et nous deux. Tu avais compris que, malgré mes grands rêves d’indépendance, j’avais toujours envie et besoin d’être bichonnée. D’où les petits plats que tu me mitonnais tous les WE pour que je n’ai rien à cuisiner dans ma petite piaule en classe prépa à Sceaux. Autour de moi, on m’enviait ma mère et la relation que j’avais avec elle. Et d’ailleurs, tu as aussi été une vraie mère de substitution pour quelques copines de prépa dont les parents étaient loin.
J’ai tellement de souvenirs avec toi, j’aimerais tous les noter quelque part. Peut être que j’écrirai un jour cette somme de sensations, d’images et de valeurs que tu m’as transmises et qui font que je suis moi, et que tu es bien là à travers moi. Quand, comme moi, on ne croit en rien d’autre qu’à notre passage sur Terre, ce qui compte, c’est bien cela : tu vis à travers moi, maman, car sans toi, sans papa, je ne serais pas celle que je suis. Et cela continue à l’infini: Lisa et Maya, Auré, ses enfants. Ils et elles sont aussi la somme de tout ce que tu as été. Transformer les absences en présence de chaque instant : voilà la force de l’amour et de la transmission. C’est aussi le plus bel hommage qu’on puisse rendre à nos disparus. Comme dirait Glenn dans la série The Walking Dead (drôle de référence, je sais!!) : “You honor the dead by going on. Even when you’re scared. You live because they don’t get to.”
Je t’aime, maman.
Une belle année à toutes et tous! (si vous avez lu jusque là, désolée pour la longueur du post, j’écris autant pour moi que pour vous!)
Quelques photos de toi glanées dans les albums photos faits avec soin par Papa, pendant plus de 20 ans.
Elle a mis la barre plutôt haut ta Maman pour nous toutes
Très beau post, merci de partager ton histoire.
Merci pour ce magnifique témoignage, très émouvant mais si vrai.
Merci également pour vos vœux et recevez également les nôtres, santé, joies, des bonheurs simples quoi !
A bientôt
JAKO ET JOCELYNE